mercredi, septembre 20, 2006

VARIATION LEXICALE ET NEOLOGISME DANS L’AMAZIGHE

VARIATION LEXICALE ET NEOLOGISME DANS L’AMAZIGHE
L’APPORT DES ASSOCIATIONS.

Le propos : la présente intervention, étant labeur d’une expérience personnelle au sein de deux cadres associatifs (1), représente le fruit d’un parcours sociolinguistique. Elle relève d’un point de vue extra cadre officiel .Elle pote sur l’apport des associations en matière de lexicographie dans le domaine amazighe .Tout au long de cet exposé, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se sont développées les expériences néologiques ? Quel est l’impact de l’action associative sur ce développement ? Nous terminerons par une approche lexicographique à des corpus échantillons du lexique spécialisé. .

LES ASSOCIATIONS AMAZIGHES : LE PROFIL SOCIOLINGUISTIQUE.

Dans leur rapport à la langue, les associations amazighes se présentent comme des laboratoires sociolinguistiques. Dans son article, Gabi Kratchwil écrit : « les associations, par leurs activités et leurs productions, sont un intermédiaire très important entre ce que nous pourrions appeler le discours intellectuel et universitaire et la population càd imazighen » (2).
Cette citation souligne, explicitement, le rôle médiateur et vulgarisateur des associations. Elles assurent la mission d’information et de formation , ceci , en s’intéressant à la dynamique linguistique de l’amazighe, tel qu’il se manifeste au sein de la mouvance sociale .Un peu plus loin , dans la même référence , l’auteur ajoute encore : « les associations accomplissent un travail culturel fondamental qui complète le discours universitaire en rassemblant et fixant par écrit des poèmes , des chansons et des contes pour les transmettre à la postérité, et elles proposent aussi des cours de langue pour enseigner aux jeunes , actuellement , fortement arabisés . »(3).Alors , trop vaste donc , est le programme des activités associatives : la collecte des textes littéraires oraux , le passage à l’écrit , la recherche scientifique , le rayonnement culturel et l’élaboration des méthodes d’enseignement/apprentissage de l’amazighe au profit des adhérents .Autant d’approches , portant sur les diverses aspects de la langue , pour revivifier et revaloriser la langue , car , l’action associative se veut , primordialement , une intervention sur la langue .

VARIATIONS LEXICALES ET PRODUCTION LEXICOGRAPHIQUE.

Il n’y a pas mieux, de précis et de concis, pour expliquer la variation, que ce petit extrait tiré du papier d’appel à contribution : (la variation…est la possibilité de dire la même chose de différente manière). L’usage variable de la langue amazighe illustre à merveille cette définition. Pour citer un exemple, au mot ENFANTS correspondant en amazighe : ARRAW, LWACUN, IEYYALN, LFERGASEN, IHENJRN, IFRAX. (4) Cette série des équivalents laisse comprendre la richesse et la variabilité lexicales que constituent les trois variantes de l’amazighe. Mais, pour rendre compte de l’aspect technique et moderne de la vie, l’amazighe fait montre d’un état lacunaire. Devant ce constat, la volonté pour enrichir lexico- graphiquement l’amazighe s’impose et prédomine au sein des activités associatives. D’où le nombre imposant des travaux réalisés à ce propos. D’abord, La communication intense via les canaux associatifs, à tendances panamazighistes, qui était derrière les apparussions massives des néologisme. A commencer par les noms de ces mêmes associations, nous retenons :
TUDERT = la vie // IZURRAN = racines // TIDDUKLA = l’amitié// TAWIZA = l’entraide // TANUKRA = renaissance// TILLILI = liberté// ASIREM = l’espoir // ANARUZ = l’espérance. Cette illustration se présente en deux groupes de formes lexicales. Les quatre premiers noms sont des lexèmes, préexistant dans l’amazighe, en usage courant. Quant aux quatre derniers : Pour TANUKRA , ce mot est formé à partir de la racine KR ou NKR signifiant « réveille » , mais sa morphologie triche le schème nominal dans sa forme fréquente du féminin amazighe (TA-T) comme dans TAZALLIT ( la prière ). Alors que la forme nominale ( TA- U-A),elle laisse voir le degré de recherche et de réajustement au niveau morphologique. Quant aux trois derniers restants, ce sont de purs néologismes, ils sont inventés et intégrés dans l’amazighe moderne .De ce fait , aussi , il faut signaler que les quatres premiers lexèmes sont dénotatifo-explicitifs (significations de surface) , et les quatre derniers sont connotatifs implicitifs ( significations profondes ) voire poétiques.
En matière de lexicographie, la coutume veut qu’on commence par le réinvestissement de l’existant avant de recourir à l’emprunt, en cas d’impossibilité, en recourt à la formation des mots nouveaux. A ce propos, le parler touareg se considère comme un immense gisement, largement, exploitable comme ressources linguistiques. Parmi les néologismes majeurs (standardisés) vu leur fréquence et leur degré de circulation via les modes de communication intra et entre association, nous citons :
AZULL= salut // TAMMIRT =merci // AYYUZ = bien (bravo)// TAMESMUNT ou TIDDUKA = association// TADELSAMT = culturelle // TIWURIWIN = les travaux (activités)// TUSSNA = la connaissance// AMGHNAS = le militant// (…) Ces lexèmes étaient normalisés par l’usage fréquent à travers la communication associative. Puis, ils finissent par être adoptés comme terminologie intégrée dans le vocabulaire de la presse, dans les bulletins d’informations, et, avec l’introduction de l’amazighe à l’école, ils sont acceptés par les apprenants sans la moindre résistance.

LA PRODUCTION NEOLOGIQUE : QUELQUE CORPUS.

La dynamique de l’activité néologique ne date pas d’aujourd’hui, les premières recherches remontaient aux années 70 et 80.Elles étaient inspirées par les travaux effectués par les berberisants surtout, français. TAJERRUMT N TMAZIGHT (la grammaire de Tamazight) et AMAWAL, les deux travaux de Mouloud Mammeri, se considèrent comme une référence incomparable, dont l’auteur fut un pionnier en la matière. Toutes les expériences antérieurs étaient dominées par l’omni manifestation du parler touareg. Mahdi IAZZI , dans son article, explique : « cette situation fait dire à Achab (1996) que le statut du parler touareg dans ce mouvement de création lexicale dans le domaine amazigh rappelle celui du latin et du grec dans le domaine des langues européennes »(5).Ce constat répond , clairement à la question du pourquoi en ce domaine de néologie, les associations au Maroc se sont ouvertes sur la production massive , que ce soit par le kabyles (en Algérie) ou par la diaspora (en Europe) où une représentativité pan amazighe est fort manifeste.
Dans ce cadre, les corpus lexicographiques, qui suivent, laissent évaluer le taux des lexèmes nouveaux que nécessitent de tels travaux.
1- la traduction (en Amazigh) de la déclaration universelle des droits de l’homme, par H.id belkacem (1990)
2- le dictionnaire arabe-amazighe (3vol) de M. Chafik (1990-1998) .
3- TAMAWALT N USGMI (lexique de l’éducation) de B. Belaid (1993).
4- la traduction (en amaz) de ROMEO et JULIETTE par Adgherni, Fouad et Afoulay (1995).
5- TAGHURAST N UREQQAS N RBI ( la biographie du prophéte) de El .Jouhadi (1995).
6- AMAWAL AZERFAN (lexique juridique) par Adgherni, Fouad et Afoulay (1996).
Ces corpus sont cités par IAZZI (6). Ce sont des travaux, d’une importance considérable, ils s’articulent autour de deux points forts :
Primo, ils reflètent l’état paroxysmique de la production lexicographique, secundo, ils étaient encadrés au moment fort où l’action associative touche à son apogée ( la décennie 90).Etant des corpus hétérogènes , ils ont le mérite de couvrir les champs juridiques , éducatifs, littéraire et religieux.Mais, le dictionnaire (3vol) de Mr Chafiq a l’avantage de reproduire, vasteté et profondeur, l’abondance lexicographique, étant une extraordinaire collecte étalée sur la durée de huit ans , elle s’est rendue compte de le diversité lexicale caractérisant l’aire régiolectale sur l’ensemble du nord d’Afrique.
Certes, certains chercheurs universitaires jugent cette production néologique comme étant « volontaristes », « spontanées » et « amateurismes » .Mais, n’empêche que toute une traduction lexicographique était ancrée et adoptée par la masse associative. Depuis, quantité de mots nouveaux, relèvent du lexique spécialisé, émergent pour alimenter, surtout, les domaines de la poésie et de la presse. Le journalisme est, par excellence,le réceptacle le plus immédiat qui accueille les termes, fraîchement, crées. Examinons cet échantillon :
AGHMIS= le journal// INGHMISISEN = les informations// TASGHUNT = revue // TAZWARUT = la une // UTTUN = numéro //ATTIG = le prix.Ou dans :
TASGHUNT TADELSANT N TMAZIGHT = Revue culturelle de Tamazight.
AGHMIS N TWIRIWIN N TMESMUNIN TIDELSANIN TIMAZIGHINI = Bulletin des activités des associations culturelles amazighes.

CORPUS DE LEXIQUE SPECIALISE : LECTURE ET COMMENTAIRE.

Ce petit lexique est extraite d’un imagier (concept/image) conçu comme support didactique pour accompagner l’enseignement / apprentissage de l’amazighe (7).
1-TABANKA = à l’origine cette appellation désigne une sorte de tablier (fonction protectrice) que portaient les fellahs pour moissonner. Donc un terme / existant déjà, mais approprie et réactualisé pour signifier, dans le contexte scolaire, le tablier que porte l’élève. Réemploi par extension.
2- TASLMADT= ce mot est une création nouvelle , formation normal par dérivation à partir de la racine « LMD » ( éduquer), le schème (TA_T) dans l’Amazighe équivaut au genre féminin, donc TASLMADT signifie ( celle qui éduque ) , son masculin est ASLMAD ( l’éducateur) , le préfixe ( A- ) introduit l’acte (celui qui agit) , alors que l’élément (AN- ) donne l’idée du sujet (celui qui subit ), d’où le sens de ANLMAD qui donne dans le contexte scolaire l’élève .Tous ces dérivés , ce sont normalisés pour signifier : l’enseignante et l’élève .
3- TAGHDA = ce lexème nouveau préexistant comme idée, dans le contexte agricole, décrivant un terrain plat (plan) .Il est réapproprié pour combler, métaphoriquement, la signification de règle (outil scolaire).
4-TINMEL : de première vue , la morphologie de ce mot laisse repérer une formation par composition , d’abords l’élément TIN qui s’interprète de deux manières , (a) : cette lexie veut dire celle de , (b) : elle a le sens de sert à ( selon le contexte ).Puis il y’a le radical MEL (l’idée de l’apprentissage) .L’ensemble des deux composants de ce termes donne l’idée de servir à l’apprentissage .Et pourtant ce mot n’est pas néologisme , il était et est toujours en usage au sud , et désigne l’école au sens traditionnel , son emploi réactualisé , aujourd’hui , signifie l’école au sens moderne .
Pour cesser cet exercice d’échantillonnage portant sur la terminologie spécialisée. Voici pour les esprits curieux, quelques unités lexicographiques, relatives au concept de la linguistique :(8).
ILS : langue// TUTLAYT : langage //TASEMNAWALT : linguistique//TAMAWALT : vocabulaire (lexique)//TIFRIT : mot//AMSSAWAD : communication//TASEDDAST : syntaxe //IMYAWAD : communiquer.

NOTES :

1-les cadres associatifs respectifs sont : l’association socioculturelle ASIREM à Rissani (19994-19996) , et l’association TIFSA (printemps) à khémiset (2003-2005).
2-Kratchwil, Gabi : les associations amazighes au Maroc : bilan et perspectives, in Prologues N : 17, 1999, P : 38.
3-Op.cit.P.43.
4-Cit2 par Ennaji, Moha in Standardisation de l’amazighe, série colloques et séminaire N :3 publication IRCAM , Rabat 2004, P :255.
5-Cité par Iazzi El Mehdi, in Prologues N : 27/28, Automne 2003, P :31.
6-Op-cit , P :30.
7-Ces lexemes-échantilons sont extraits de ISKKILN N TIFINAGH, un support didactique conçu par Agnou Fatima, publication del’IRCAM, 2005.
8-Cet inventaire est sélectionné du lexique TAMAWALT N USGMI de Belaid Boudris, éd : 1993.

Article communication lors de la journée d’étude organisée par le groupe VARIALANG le 20 Avril 2006.

Rachid fettah
Laboratoire « langage et société ».
Groupe VARIALANG.
U.F.R : Sociolinguistique appliquée.
Faculté des lettres et sciences humaines.
Université Ibn TOFAIL.
Kenitra.

Aucun commentaire: