lundi, septembre 11, 2006

Tifinagh : Ecriture magique perpétuée par des femmes

Tifinagh : Ecriture magique perpétuée par des femmes

Rachid FETTAH Amedyaz

Le propos : mettre en relief le rapprochement entre tifinagh, écriture inventée par les premiers berbères, en premier lieu, avec les traçages du tatouage, et en deuxième lieu, avec les motifs des tapis. Mais, cette continuité/ survivance de l’alphabet tifinagh à travers le tissage et le tatouage reviennent, par excellence, à la verve créatrice des femmes qui ont su sauvegarder et perpétuer ces formes d’écritures magiques.

Préambule : Aujourd’hui un new-alphabet baptisé Tifinagh-IRCAM a été confectionné pour écrire des mots et des textes en amazigh .un alphabet grâce auquel des élèves apprennent à lire et à écrire dans les classes de l’école publique nationale. Mais, cette percée inaugurée par l’amazighe au sein de l ‘espace scolaire n’est pas suffisante, à elle seule, pour refléter les modalités de réceptions réservées à ce nouveau alphabet au sein de l’espace publique, car quoique adopté officiellement pour faire passer de l’oralité à l’écriture la langue-culture amazighe, le tifinagh-IRCAM vit toujours une situation, sociolinguistiquement, double : une situation de l’amazighe intra-muros et une autre extra-muros.
La première situation se traduit par les actes de la standardisation de cette langue et l’élaboration de son alphabet tifinagh-IRCAM, un travail laborieux et préliminaire pour introduire l’enseignement de l’amazighe dans le système éducatif. La seconde, revers de la médaille, est l’état de vacuité et d’absence d’échos relatifs à tifinagh à travers les supports et les réceptacles linguistiques au sein de l’espace social. Cette dernière situation est conséquente d’un profond malaise psychosocial que déclenche une impression d’étrangeté et de non reconnaissance chez les récepteurs.
Les lignes, qui suivent, vont porter plus d’éclairage sur cet alphabet, et de la même, tenteront de dresser des traits d’union et de rapprochement entre cette ancienne écriture et ces deux formes d’expressions artistiques féminines, à savoir, le tissage (tapis) et le tatouage.Mais au paravent, parcourons les étapes de l’évolution de l’alphabet tifinagh.
Tifinagh : Origine et Evolution :

D’après des recherches en archéologie linguistique, tifinagh est l’une des anciennes formes d’écritures , apparue depuis 25 siècles, c’est l’une des rares écritures qui a résisté face à l’hégémonie de nombreuses écritures supports de grandes civilisations (romaine et byzintine , par exemple ) . La force de cet alphabet réside dans le fait d’être le centre d’une référence identitaire. Alors que sa résistance émane du fait qu’il n’est pas inerte mais accepte l’évolution et le changement. Or, comme la plupart des autres langues, la première forme d’écriture de tifinagh est découverte sous forme d’un inventaire limité de consonnes. Sa propagation et ses contacts avec d’autre langues écrites environnantes comme, surtout le phénicien constituaient un facteur positif pour son amélioration les et sa modernisation. Ce sont les touaregs qui étaient les premiers à perfectionner ce système millénaire d’écriture, et ceci, avant de devenir aujourd’hui ce qui est convenu de nommer le new tifinagh, à ce propos (voir : Belouch. A : l’abc de tifinagh et la question de son enseignement .in prologue n : 27/28 été et automne 2003) .
Mais avant de se stabiliser dans son état actuel , l’alphabet amazigh a du passer par plusieurs versions remaniées dont voici les plus importantes :le saharien ancien , le libyque vertical , le libyque horizontal , l’académie berbère , agraw imazighen , celle de S.Chaker et enfin celle de B.belaid . Ce sont les importants auteurs des différents aménagements portant sur les notations et symboles constituant l’inventaire des graphèmes de l’écriture tifinagh. (Voir tableau in revue tifinagh n : 1 déc. 1993/ jan 1994 .p . 12).
Parenté sémio- sémantique entre tifinagh et tatouage.

Pour contourner le sens de ce rapprochement, puisque le tatouage est une pratique, essentiellement féminine, nous nous appuyons sur un travail, scientifiquement, minutieux d’une autre femme savante. Nous nommons R.Bourqia qui a consacré une partie importante de sa recherche à la population féminine rurale.Notre démarche consiste à lire à travers sa réflexion, qui est consacrée à la pratique du tatouage chez les femmes des tribus Zemmours de l’époque précoloniale (19eme siècle). Or, Comme la plupart des écrits produits autour de cette vieille pratique du tatouage, l’analyse de R.Bourqia puise dans l’héritage théorique que constituait, à ce propos, le lég. de la science coloniale. Alors au sien de cette science dite humaine, les travaux de J. herber représentait une référence d’autorité scientifique pour bon nombre de chercheurs marocains dont A. Khatibi, M. Boughali. En effet, dans son approche, l’auteur de cette réflexion adopte un double point de vue : sociologique et anthropologique, deux disciplines majeures de l’époque. Mais le propre e la singularité de sa réflexion, c’est qu’elle est la seule à considérer, d’une manière franche et claire, que le tatouage est une écriture, par delà la portée ornementale et la dimension esthétique. En effet , pour mieux alimenter ses analyses , l’auteur s’appuyait sur les donnée de la philosophie du langage , car , à son sens , le tatouage est une écriture avec l’acceptation la plus large qu’a cette notion , c à d : « tout système sémiotique visuel et spatial » (cf. . dictionnaire encyclopédique des sciences du langage . p 249 ) . Cette définition est tellement élastique pour qu’elle couvre facilement les traces marquées sur les parties les plus visibles du corps de la femme, les plus exposées à la vue, donc à la lecture et à l’interprétation, d’ou l’importance de la partie faciale du visage, le dos de la main et, à un degré moindre, au niveau des jambes, ce sont là les parties supports du tatouages. Or, ajoute l’auteur, « le corps tatoué est un corps écrit », et cette écriture fait partie, selon J. Kristiva « de ce texte général qui englobe outre la voix, les différents types de productions tels le geste, l’écriture, l’économie » (in. recherche pour une sémantique. p. 4) et à ces types de productions. R. Bourqia insiste pour ajouter les « traces », ces traces de tatouage , d’une couleur entre le vert et le bleu , sont connues dans le parler des femmes Zemmours par ICHERRAD (pluriel de ACHERRID ) , cette dénomination dénote , clairement , l’acte fort de laisser des traces « écrites » . Ainsi , pour continuer sa mise en lumière de l’acte d’écrire, calqué sur l’acte de tatouer , l’auteur considère que le corps est un espace où chacun peut « se lire et se déchiffrer » , alors , la femme de la tribu se tatoue c à d « écrit et s’écrit » dans son corps . Ces fragments d’analyses semblent faire leur bout de chemin pour retrouver la voie royale, le retour vers la source d’où découle l’apparenté et la continuité des signes de tifinagh dans le tatouage, en d’autre termes, le tatouage écriture trouve sa source dans les survivances de tifinagh, conservé comme graphisme de symboles significatifs sur les gravures rupestres et qui ont été transmis et véhiculés via le corps de la femme. Cette dernière thèse , rapprochant entre ces deux systèmes de signes , puise dans les propos de G.Marcy : « toujours dans le même ordre de considération relatif à l’origine purement technique des variantes tifinagh pointillés,on peut encore citer le cas parallèle des tatouages faciaux portés par les femmes berbères »( in .Introduction à une déchiffrement méthodique des inscriptions Tifinagh du Sahara central .Hespérides vol 24.1973.p.103) Inintentiennellement, mis en évidence dans cette citation, le qualificatif « berbère » laisser, explicitement ,délimiter l’aire, géographique et socioculturelle, où cette pratique du tatouage est omni- manifeste,cette constatation est , nettement ,mise en relief par R.Bourqia qui souligne que « le Tatouage est lié au phénomène tribal ,rarement ,pratiqué dans les villes ».
Pour cesser ce creusement dans cette réflexion , il faut dire que le tatouage , comme marque socioculturel relevant d’un langage oralisé , et Tifinagh , comme écriture alphabétique , devraient imprégnés ce corps espace,/ ce corps mémoire , qui est la femme , pour conserver l’héritage ancestral (valeurs et littérature orales ) .


Les motifs des tapis comme continuum de Tifinagh écriture.

Si, à propos du tatouage, la réflexion de R. Bourqia offre des éclairages pertinents comme regard interne, la manifestation de Tifinagh sous forme des motifs des tapis va faire l’objet d’un regard externe, celui adopté par Francis Ramirez et Christian Rollot qui, dans leur ouvrage : « Tapis et Tissage au Maroc : une écriture du silence », présentent l’art de tisser, en le soulignant, comme une écriture au sens sémantique et esthétique.
Ce travail, laborieux et riche en détails, fait du tapis une œuvre- incarnation du génie féminin, un réceptacle de signes, de formes et de figures transposant l’imagination créatrice des tisseuses. Un imaginaire qu’elles transmissent et communiquent aux autres, pour les deux auteurs « quand une femme tisse un tapis elle ne le fait pas uniquement pour l’usage. C’est comme une lettre qui sort de sa main et qui sera lue par d’autres familles. ».Par procédé d’association de mots , cette citation laisse comprendre que , pour les auteurs , le tissage signifie l’acte d’écrire et le tapis devient une lettre à émise à l’intention des autres .
Abstraction faite à la matière et à la couleur, ici, l’accent est mis sur la symbolique via laquelle la femme émet des messages chargés de fragments d’une interminable narration monologique , en nouant les fils et en combinant les couleurs , elle transcrit de longs passages extraits de sa secrète autobiographie . Quant à A-Khatabi, il « compare le tapis à une carte représentant le désir et la volition que voile l’instinct des couleurs et la géométrie des nœuds à travers notre inconscience et nos rêves » (pris et traduit in la revue Attaqafa Attunusia. N. 66 .1993 .p .65) , cette comparaison psychanalytique adoptée par l’auteur de la mémoire tatouée éclaire les zones sombres dans la relation de la tisseuses à son œuvre, dans un univers de désir, de douleur et de joie. Dans le chapitre « le tapis et les femmes », les auteurs de « tapis et tissage au Maroc … » soulignent qu’entre une tisseuse et son ouvrage, il s’instaure une relation étroite et privilégié, pour eux : « la femme met dans son tapis quelque chose d’elle-même, le tapis devient chasse et reliquaire (p .115).
Alors que Khatibi, analysant sous l’ongle de vision sémioticienne, trouve que le tapis offre à la lecture un corpus de motifs dotés de sens et de signifiance, il explicite : « c’est un espace où se manifeste les signes appartenant à l’écriture ancienne tifinagh (op. cité.p.68) la thématique de l’apparenté de tifinagh et l’art du tissage n’est pas une découverte récente, mais elle a été évoquée par bon nombre de chercheurs, surtout ceux qui réservent une écoute permanente aux différentes formes d’expression et de création dans le domaine amazighes. Dans ce vaste champ M. chafiq fait figure d’autorité intellectuelle et académique, dans son article ’’le substrat berbère’’ il écrit que ’’la culture berbère est représenté par un art décoratif qui apparaît particulièrement, dans le tapis et la céramique, sous forme de dessins géométrique excluant l’arabesque mais reprenant le caractère de l’alphabet tifinagh (p.113). La géométrie des formes et dessins soulignée, dans ce dernier propos, est à elle seule un argument solide de la profonde apparenté entre ces deux modes d’écriture. Tout un inventaire de figures géométriques, analogiques et abstraites, circulant de tapis en tapis, tantôt, des formes tels des scorpions, des serpents, des oiseaux ou même des maisons … tantôt des losanges, des triangles, des damiers, des étoiles (à 8 branches) ou lignes droites ou brisées, des quadrillages etc..
Péroraison : ça sera redondant d’insister sur l’importance du rôle de la femme dans la préservation de l’écriture tifinagh, surtout les femmes rurales dites timazighines, car c’est grâce à elles que la culture a été conservée, grâce à leur stabilité, elles ont pu conserver l’idiome de la langue. « Le tatouage faciale est les motifs au henné, les figures géométriques dans les tissages, les tapis, les broderies, les bijoux témoignent de leur savoir de l’écriture’’ ( in la revue tifinagh N°1 déc. 1993/jan.1994).
Bibliographie.
* J.KRISTIVA : recherche pour une sémantique, Paris, seuil1969.p.4
* F.Ramirez et Ch.Rollot : Tapis et tissage au Maroc « une écriture du silence » ARC
Édition 1995.
* J.Herber « tatouage de la face chez la marocaine »Héspéris vol 33. 1964
* Chafiq .Med . « Le substrat berbère de la culture marocaine…. »
* Belouch.abder. « L’abc tifinagh et la question de son enseignement in Prologues N :
27/28 été et automne 2003.
*Bourqia .R : réflexion sur le tatouage dans les tribus zemmours….
* Boughali. Med : Espace d’écriture au Maroc Edition Afrique orient 1987
* Revue Amazigh N : 1 - 1980.
* Revue Tifinagh N : 1 Déc. 1993/ Jan 1994

Rachid Fettah
UFR « langage et société »
Groupe CLIO
Sociolinguistique appliquée
Faculté des lettres et des sciences humaines
Université Ibn TOFAIL
Kenitra

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