mercredi, février 01, 2006

La poudre d'intelligence de Kateb Yacine


La poudre d'intelligence
Kateb Yacine
Seuil, 1959



Avec une ironie délicieuse, Kateb Yacine gratifie les représentants des autorités civiles et religieuses d'un portrait dévastateur : dans La poudre d'intelligence, sultan, mufti et ulémas ne sont que des sots. Il suffit que survienne un esprit libre, un penseur insaisissable opportunément dénommé Nuage de fumée, pour que tous soient ridiculisés. Dans cette pièce de théâtre en un acte, la moquerie vise autant leur obscurantisme insondable que l'éternelle collusion d'intérêts entre les puissants et les professionnels de la religion : "Le sultan : [...] Dieu seul peut nous aider. Dieu préserve notre peuple. Dieu préserve notre peuple des éternels agitateurs. Dieu nous préserve des têtes dures, des philosophes, des poètes, des orateurs, des fous et des savants." L'idée de dieu a toujours été, dans toutes les religions, un formidable outil pour calmer le peuple et le dissuader d'espérer une vie meilleure.
Fort de sa liberté, Nuage de fumée montre une audace vivifiante. Faut-il invoquer Dieu trois fois comme l'impose l'islam ? Il use sans détour d'une formule particulièrement expéditive : "O mon Dieu, trois fois !" Sacrilège ! Pire, Dieu ne fréquente pas la mosquée ("O mon Dieu, excuse-moi si je t'implore dans la rue mais je ne t'ai pas trouvé à la mosquée"), le sultan est un âne ("Tu es privé des trois choses qui font le bonheur des hommes, grands ou petits : l'intelligence, l'or et l'amour."), les ulémas des charlatans ("Le Policier : Circulez ! Circulez ! Vous savez bien que nos Ulémas ont interdit le maraboutisme. Nuage de Fumée : ... Pour en avoir le monopole."), la rupture du jeûne pendant le Ramadan est cause d'une bagarre et le mois sacré sert l'exploitation de la crédulité humaine.
Les fanatiques rivés à l'adoration aveugle du concept de dieu, et aplatis devant tout ce à quoi est attaché le mot islam, ne goûteront pas La poudre d'intelligence. Kateb Yacine, avec une verve et une impertinence qui évoquent Omar Khayyam, livre un feu d'artifice inouï et arrange les imposteurs de bien belle façon.
Janvier 2006

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