Les années Tafilalt
Ouh moh Arehal , pseudonyme résonnant fort l'amazighité.N'est ce pas sous le signe de ce pseudo que tes écrits foisonnaient et circulaient via des pages web et à travers les colonnes de la presse amazighe , Aujourd'hui que tes articles n'apparaissent plus , en tant de lecteur , ça m'intrigue et je m'interroge. Cette petite affaire, quoique banale dans son apparence, elle pourrait être lourde de significations, car écrire en tant de collaborateur dans un organe amazigh s'avère un acte militantiste. Et pourtant, ce n'est pas là le propos de ces quelques lignes.Puisque c'est en relisant l'une de tes lettres insolentes que j'ai décidé t'écrire cette lettre que j'intitule " passage à Tafilalt : années Tilléli", c'était nos forts moments des retrouvailles avec l'amazighité.
Aujourd'hui, nos cheminements s'entrecroisent et nous partageons le même et profond intérêt à la langue-culture milliaire Tamazight, nous agissons par l'acte d'écrire, car nous sommes épris par la même angoisse de l'expression. Oui, l'amazighité, cet espace socioculturel carrefour traversé de moult thèses et antithèses, centre de haute tension verbale.
A ce propos, je me suis souvent cherché des explications à cet attachement quasi charnel à cette thématique, qui ne cessait, depuis des décennies de déclencher des débats houleux et des flots intarissables de discours à colorations idéologiques. Comment étais-je et suis-je, presque, le seul dans le cercle des proches qui a choisi bon gré de pendre cet interminable chemin de la quête identitaire. Bien entendu, tout différemment de ton parcours socioculturel, mon vécu individuel n'avait pas évolué dans un contexte social où l'amazighité se manifeste explicitement au quotidien. Mais une seule certitude demeure, j'avais toujours entre les yeux le visage tatoué, à grands traits, d'une mère typiquement berbère, sachant la place qu'occupait la mère dans le processus de socialisation dans les sociétés maghrébines, ce sont là certaines explications d'une première prise de conscience. Le visage tatoué de la mère, incarnait la mémoire nourricière de notre imaginaire collectif, cette mère faisant partie de nombreuse femmes ayant vécues, le long de leur vies, en conflit linguistique permanant, chaque fois se trouvant dans le malaise de s'exprimer en arabe .Ce sont là des raisons, telles des vérités déchirantes, qui ont éveillé en moi depuis de belles lurettes, une vive prise de conscience identitaire.
Des années après, il y'a eu mon séjour de six ans à Tafilalt, étant une chance singulière, ce passage marquant avait été pour moi une occasion rarissime pour approfondir mon creusement identitaire.
Quoique Tafilalt couvre une aire socioculturelle trop vaste et débordante ; quoique visiblement dominée par une population majoritairement filalo-arabiste, symboliquement protégée et louée par la sainte baraka de Moulay Ali Ch'rif, la spécificité amazighe était et demeurait manifestement forte pour émerger à la surface de l'espace social. Je me souvient vivement, comme c'était encore hier, de la toute première activité cultuelle organisée par la toute petite association "Assirem"à Dar Echchabab de Rissani. C'était un événement grandiose par excellence, un vrai succès militantiste au sens plein du terme, un rendez-vous spontané où la voix des petits fils de Dadda Atta, telle une clameur assourdissante, s'est faite entendre, ils étaient venus de Merzouga, d'Alnif, d'ighem n iglmimen et d'ighrem n souq …ça été pour moi un coup de cœur extraordinaire, et depuis beaucoup d'amitiés se sont nées, beaucoup de connaissances se sont tissées sur un arrière fond centré autour de l'amazighité.
De cette époque d'or et d'espoir date pour moi le vrai début du long parcours de mon engagement dans l'activisme amazighiste, de cette époque des et des combats, je gardais la chaleur des amitiés et la sincérité des souvenirs, des êtres et faits exceptionnels, qui ne cessaient de nourrir ma verve créatrice.
Or, c'est à propos de la création que je ne veux pas passer sans évoquer trois noms d'artistes qui sortent du commun, ceux que j'avais côtoyé pour un certain temps, je nomme successivement Bouba, artiste polyvalent dit aussi Azegza, Mohand Saidi artiste militant sans frontière et Banni Lahcen artiste, à l'époque, en herbe, autodidacte et enfant terrible de Merzouga. Tous les trois étaient, à ma connaissance, voués corps et âme, à l'amazighité.
Aujourd'hui, je ne sais pas au juste ce se sont devenus, mais la seule chose dont je peux être sur, c'est qu'ils ne pouvaient pas délaisser l'art de peindre la vie en tamazight. Pour Saidi, j'ai déjà consacré un article en hommage à son engagement profond et sincère, publié dans le journal Tawiza, pour Azegza"the free bird" je gardais intact toujours des écrits "mi sagesse, mi délire" en tamazight, de petits bouts de lettres en éclats, certainement, écrits lors des années errances, à l'époque de ses déambulations, tel un "bateau ivre", à travers les coins et recoins des quartiers chic-choc de la capitale des douleurs. Quant à Banni, il était pour moi 'une des rares découvertes, de ses créations, je conservais avec un attachement étrange deux tableaux inédits inspirés, sans doute, comme fruits sauvages et amers, d'un vécu profondément marqué par de longs moments de misérabilisme noir et de révolte durant la période du manque terrible et d'oisiveté meurtrière, d'un jeune amazigh qui se faisait son bout de chemin dans le vaste univers de la création artistique.
Par ces lignes, je veux rendre hommage à ces trois connaissances, car ils représentaient trois expériences créatives distingues vouées, sincèrement, à l'âme de l'amazighité.
Pour revenir à toi fameux Arehal, j'ai beaucoup appricié ton parcours intellectuel , surtout que le cordon ombilical qui te lie à l'amazighité , telle que tu l'a bue avec le lait maternel, demeure toujours intact, en ces temps absurdes où tout se dénature et se métamorphose . Depuis des années , je suivais de plus près l'évolution de tes idées, je trouve que tu t'es bien immunisé contre le virus du caméléonisme intellectuel , ton franc-parler que tu concrétises en actes d'écriture laisse entendre la profonde sincérité intellectuelle qui marquait tes réflexions et tes points de vues. J'ai hâte à te relire dans le même journal ou dans d'autres organes de presse amazighe, ne te laisse pas emporter par le mauvais vent de la capitale des malheurs.
Assegas ihiyyan ighudan2958
Bonne et heureuse année 2008.
Amdyaz n ussirem
Rachid fettah
Khémisset
15/01/08